Amandine TABUTAUD

Historienne, spécialiste des femmes dans le mouvement ouvrier

« De la Seine-Saint-Denis au Limousin, les ouvrières subissent la désindustrialisation, soit qu’elle survienne au cours de leur parcours professionnel et le bouleverse, soit qu’elle mette un terme à leur carrière de manière prématurée en les écartant définitivement de l’emploi. Sur un marché du travail fortement sexué, la crise économique exacerbe les inégalités salariales et renforce la situation dominée à laquelle sont assignées les femmes. »

Amandine TABUTAUD​

Née en 1987 à Châteauroux dans une famille modeste et ouvrière, ses parents ne sont pas syndiqués, militants ou politisés.

Amandine Tabutaud a la volonté après son bac de faire une carrière de professeure, et l’histoire est la matière qui l’attire le plus.

Entre 2005 et 2010 elle fait ses études d’histoire à l’Université de Limoges et ses deux années de master sont sous la direction de Clotilde Druelle-Korn.

La période qui l’intéresse est l’époque contemporaine, pour essayer de comprendre pourquoi on traitait si peu des femmes. Elle dit que l’Histoire des femmes est abordée « par la petite porte ». Elle ressent un intérêt naturel pour le monde ouvrier également. Comme sa directrice de master s’intéressait elle-même à l’institut d’histoire du CGT, Amandine se tourne vers l’histoire du syndicalisme.

Son premier mémoire, Le syndicalisme féminin, CGT en Haute-Vienne 1945-1975 est son premier pas vers l’histoire des femmes dans le monde du travail. Après la Seconde Guerre Mondiale les femmes arrivent en masse sur marché du travail, et les ouvrières bénéficient plus ou moins des progrès sociaux. Amandine Tabutaud se demande comment ces femmes vont participer à ce mouvement d’émancipation féminine. Elle se questionne également sur leur engagement, quel est leur rôle au sein des syndicats ?

Amandine Tabutaud rencontre des militantes de la CGT comme Jeannette Dussartre-Chartreux. C’est pour elle la découverte des sources orale et des entretiens, elle se sert d’archives audio, notamment une revue syndicale de la CGT qui datait des années 1970-1980. Elle écume aussi les archives municipales, départementales, et les archives déposées à l’IHS (Institut d’histoire sociale) qui ne sont pas encore classées. Elle effectue après son mémoire un stage de 6 semaines à l’IHS où elle réalise un pré-classement des archives de la CGT.

Ce qui forge la connaissance de l’histoire des femmes d’Amandine Tabutaud sont bien moins les cours enseignés à l’université que ses lectures personnelles et les séminaires ou conférences organisés à l’Université d’Angers et Rennes, alors plus en pointe sur l’histoire des femmes et du genre.

Elle prend la décision de poursuivre en Master 2, et de réaliser un mémoire, Les grèves féminines (1975-1990), sur des grèves d’ouvrières lors de la désindustrialisation. Elle se demande à quoi ressemble le militantisme féminin, est-il semblable au militantisme masculin, est-on syndiqué ou non ? Féministe ou pas ? Sa méthode est toujours celle de l’enquête orale, avec des ouvrières, elle participe à un congrès de la CGT. Ce second mémoire se présente sous la forme d’étude de cas, les limousines ne sont pas forcément différentes des autres femmes qui ont protesté contre la fermeture de leurs usines. Les militantes viennent souvent d’une famille déjà engagée. Amandine Tabutaud étudie également les archives iconographiques de la CGT. La CGT est systématiquement présente quel que soit les conflits, et le Parti communiste aussi, ce qui lui fournit une base documentaire solide.

Elle passe le capes d’histoire-géographie en 2011, et est affectée dans l’Académie de Créteil au Lycée François Premier à Fontainebleau.

Elle prépare actuellement une thèse, Les ouvrières en région parisienne et en Limousin entre croissance industrielle et désindustrialisation des années 1950 au premier XXIème siècle. sous la direction de Nicolas Hatzfeld, Université d’Evry, Paris Saclay. Elle obtient un contrat doctoral de 3 ans et une mise en disponibilité de 2015-2018 où elle effectue ses recherches.

Elle met en exergue dans sa thèse que les premiers secteurs industriels à souffrir sont des secteurs féminisés, tels que la ganterie, le textile, la porcelaine et cela dès les années 1950. Les fermetures d’usines ne sont médiatisées qu’à partir années 1970 lorsque des secteurs dits masculins entrent en crise comme les mines etc. La place minorée des femmes dans le monde du travail est dûe à l’organisation de l’emploi et de l’industrie qui est sexuée.

« Les ouvrières demeurent invisibles dans cet univers industriel dont l’ouvrier viril reste la figure stéréotypée. »

Amandine Tabutaud fait le choix de comparer deux territoires, le Limousin (rural) et la Seine-Saint-Denis (très urbanisé) ce qui lui permet d’étudier différentes trajectoires. La Seine-Saint-Denis connaît la désindustrialisation dès années 1950 mais subit une tertiarisation et elle bénéficie d’une industrie avec des technologies de pointe, alors que le Limousin a une industrie locale très spécifique et les populations croient en la perpétuation de celle-ci dans leur territoire. Le marché de l’emploi n’est pas aussi large en Limousin qu’en Seine-Saint-Denis , l’usine Davaye Legrand ferme en 2009 à Saint Junien beaucoup de salariées partent en pré-retraite ou on leur propose du travail à domicile tandis que d’autres sont reclassées à Limoges sur le site principal. Cette relocalisation pose problème, puisque dans les rapports des syndicats, les femmes ont moins de moyens de transport et ceux-ci ont un coût. La région parisienne ne connait pas le même rapport à la distance.

La thèse d’Amandine Tabutaud devrait être disponible courant 2023.

La chercheuse participe régulièrement à des colloques ou des séminaires, comme le festival d’histoire à Blois en octobre 2021, le festival à Poitiers filmer le travail, qui propose des films et des mini-documentaires en compétition, elle avait participé à table-ronde d’un film sur Martha Desrumeaux concernant la place des femmes au travail et le militantisme.

En parallèle de son activité professorale, Amandine Tabutaud est également investie dans l’association AFHMT ( Association Française des mondes du travail), qui promeut l’histoire du travail.

Réalisation de Lucille MAUREL pour PR2L, mars 2022. Avec le soutien technique de Baptiste RAMAS et des bénévoles de l’assocation.