Jeannette DUSSARTRE
(1932-2017)

Marie SARDERNE
(1876- ? )

Jeannette DUSSARTRE
Limougeaude attachée à un communisme chrétien et une pacifiste engagée

« En 1889, Monsieur Clément fait construire une usine de fabrication de corset. Une entreprise prospère. Il se rend tous les matins rue Baudin (Limoges) et ordonne à ses ouvrières de se mettre à genoux dans l’atelier. Mais c’est Madame qui veille au grain. Elle récite une prière sur un livret qu’elle donne chaque semaine. La maison Clément ne s’embarrasse pas de l’adhésion pleinement consentie des ouvrières. A ses conditions morales, elle impose les siennes. La patronne oblige les ouvrières, et cela sous surveillance, à faire trois jours de retraite, et à confesse le samedi, et faire leur Pâques le dimanche. Les absentes sont punies par une distribution de mauvais travail avec menace de renvoi. Chaque manquement est puni d’une amende, selon l’enquête diligentée par le commissariat central. »

Extrait de l’émission de France Culture et du Fonds Jeannette Dussartre-Chartreux qu’elle a versé aux Archives Municipales de Limoges.

Jeannette Dussartre-Chartreux. Les corsetières fondent un syndicat féminin, libre, et sortent de la tutelle du syndicat patronal fondé par la maison. Leur grève dure quatre mois. Marie Saderne avec Madame Barry et Mademoiselle Coupaud assistent au congrès national constitutif de la CGT tenu à Limoges, en septembre 1895.

Jeannette Dussartre ©Archives municipales Fonds Jeannette Dussartre-Chartreux sur le grand bassin du champ de Juillet.

Née à Limoges dans le quartier des Ponticauds dans une famille d’ouvriers en chaussure qualifiés, Jeannette Dussartre fait toute sa scolarité à l’école laïque. Elle obtient le brevet élémentaire en 1939, elle entre comme jeune auxiliaire, aux Articles d’argent de Paris (ancêtres des chèques postaux). Après son licenciement d’une mégisserie où elle était employée, et quelques semaines dans une fabrique de produits de beauté, elle retrouve une place dans la fonction publique au service des statistiques.

Sa conversion au catholicisme, à l’âge de dix-huit ans, puis la découverte de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) vont guider sa vie. Responsable fédérale en 1942, elle a désormais pour objectif de s’engager totalement, d’être « toute à tous, ne rien faire à moitié ». Elle accepte en 1944 de faire partie de l’équipe nationale de la JOCF. Elle a la charge de la région Centre, Haute-Vienne, Indre, Loir-et-Cher, à laquelle s’ajoute en 1946 la responsabilité d’une nouvelle structure, la Fédération nationale des jeunes travailleurs (FNJT). Ce cumul de mandats finit par ébranler sa santé et elle doit faire un séjour de convalescence en Suisse.

Jeannette Dussartre regagne Limoges en 1947, bien décidée à poursuivre son engagement à la JOC. Mais, dès son retour, elle rencontre chez sa mère, membre du MPF dans la cité HLM des Coutures, l’équipe de mission ouvrière que Joseph Rousselot, aumônier JOC et du MPF, met en place. Composée de prêtres et de jeunes femmes laïques, qui font le choix de devenir ouvrières, cette mission s’est implantée dans différents quartiers de la ville. Jeannette Dussartre trouve sa place dans l’équipe du Masgoulet-Coutures aux côtés d’Henri Chartreux, prêtre-ouvrier.

Elle vit de ménages, de services rendus aux uns et aux autres, se lie avec des chrétiens en recherche qui se réunissaient autour de prêtres-ouvriers et assistaient aux rencontres animées par les dominicains Henri Desroche, Marie-Dominique Chenu etc. Elle s’engage au Mouvement de la paix et accepte de représenter en 1948 la Haute-Vienne au IIe congrès de la Fédération démocratique internationale des femmes à Budapest.

En 1949, son amie Lucienne Champion la rejoint à Limoges et s’intègre à l’équipe du quartier du Masgoulet-Coutures. Ensemble, elles participent à la campagne de signatures pour l’appel de Stockholm.

Jeannette Dussartre, qui est devenue déléguée du Limousin, participe au IIe congrès mondial des Partisans de la paix en octobre 1950 à Varsovie. Elle poursuit son militantisme pour la paix tout en mesurant progressivement la répression du progressisme chrétien. Très touchée par la crise des prêtres-ouvriers de 1954, voyant ses démarches pour trouver du travail se solder par des échecs, elle profite de l’examen ouvert d’employée de bureau pour entrer, en 1955, à la Direction régionale de la Sécurité sociale (DRSS), au service du personnel.

Retrouvant un statut de salariée, elle conserve son militantisme et rejoint les structures syndicales de la CGT, devenant notamment déléguée du personnel du cadre C au plan régional et national. Jeannette Dussartre milite au syndicat CGT de l’Union générale des fédérations des fonctionnaires, au Mouvement de la paix (membre du bureau du conseil départemental de la Haute-Vienne, puis du bureau national), contre la torture et pour la paix en Algérie et au Parti communiste auquel elle avait demandé son adhésion (après la répression policière du 8 février 1962 de la manifestation contre l’OAS qui avait fait neuf morts au métro Charonne) pour « rejoindre ceux qui, sur le terrain, ne tirent de leur lutte aucun profit personnel ». Elle est de tous les combats politiques à Limoges, que ce soit pour la paix au Vietnam ou les campagnes électorales. En 1983, lorsque l’Institut régional CGT d’histoire sociale se créa à Limoges, Jeannette Dussartre en fait partie en tant qu’archiviste. En retraite à partir de 1984, poursuivant inlassablement ses engagements, elle rejoint l’Union syndicale CGT des retraités et est élue au conseil départemental.

Elle s’est mariée en 1976 avec Henri Chartreux, ancien-prêtre ouvrier qui a quitté ses fonctions sacerdotales.

Jusqu’à sa mort Jeannette Dussartre n’a cessé d’oeuvrer à la conservation d’archives du militantisme et du syndicalisme de Limoges, elle a déposé ses archives aux Archives Municipales de Limoges.

Le Maitron, DUSSARTRE Jeannette par Nathalie Viet-Depaule, octobre 2008.

« Il y avait une espèce d’idéalisation du christianisme qui était un peu assimilé au communisme. On voyait le Christ comme un républicain, comme quelqu’un qui avait donné, qui s’était sacrifié pour les pauvres. C’était ça leur christianisme dans ce milieu-là. »

Françoise Étay, ethnomusicologue qui a collecté de nombreuses archives sonores de Jeannette Dussartre et de sa mère. Extrait issu du double CD-Rom.

Le pays d’où je viens, conservé aux Archives municipales de Limoges

Marie SADERNE
corsetière et syndicaliste CGT

Corsetière à l’entreprise Clément, Marie Saderne habitait Limoges (Haute-Vienne). Elle assista comme déléguée au VIIe congrès national corporatif constitutif de la CGT tenu à Limoges, en septembre 1895 et fut assesseure de la deuxième séance.

Elle avait mené, avec Madame Barry et Mademoiselle Coupaud (elles aussi déléguées), une grève de quatre mois pour protester contre les salaires, contre l’obligation d’acheter les tissus nécessaires à la fabrication, contre les amendes, et surtout contre l’obligation de la prière à genoux trois fois par jour, l’obligation de se rendre à l’église le dimanche et de ses confesser trois fois par an. Les grévistes furent menacées d’excommunication. Les syndicats organisèrent un meeting de solidarité qui réunit, selon la police, 750 personnes. Des religieuses remplacèrent les grévistes qui furent licenciées.

Le Maitron : SADERNE Marie, version mise en ligne le 30 mars 2010, dernière modification le 4 novembre 2019.

Marie SADERNE a fait partie d'une grève en 1895 à la Maison Clément, événement dont la mémoire a été restituée par Jeannette DUSSARTE

Le 14 juin 1895, passant outre les menaces d’excommunication de la patronne, les ouvrières refusent de faire la prière et de se mettre à genoux. Les meneuses sont des femmes célibataires et ne possédant que le produit de leur travail pour vivre. Trois jeunes femmes menèrent le mouvement, Marie Géraud 24 ans, Marie Saderne 19 ans et Amélie Râteaux 18 ans. Dans ce vieux Limoges il y a beaucoup de lingères, beaucoup de femmes qui vivent et travaillent en pensionnat. Chacune est locataire de sa petite chambre qui fait tout, dans ces maisons « tranche de pain », lors des recensements on dit les « lingères » mais presque jamais les « corsetières ».

Le syndicat féminin des ouvrières du vêtement a longtemps été un syndicat mixte, d’inspiration religieuse, dirigé par des patrons, ou des femmes de patrons. « Le syndicat mixte n’est pas l’expression d’une lutte des classes, mais au contraire d’une collaboration entre le patron et les ouvriers, et on veut remplacer l’affrontement par la coopération. C’est aussi l’idée de Frédéric Le Play et ceux à sa suite qui se sont beaucoup intéressés au modèle des corporations, qui n’avaient pas de possibilité d’exister légalement en France, mais qui étaient remplacés par les syndicats mixtes. » Philippe Grandcoin.

Les revendications des corsetières, sont de construire un syndicat proprement ouvrier. Composé uniquement de femmes, et qui prennent rapidement des revendications en faveur des droits de celles-ci. Dans les ateliers de la Maison Clément et d’autres, on a une forme de contrôle quasi permanent de l’ouvrier par le patron. C’est un contrôle de l’organisation du travail mais c’est aussi un contrôle moral, qui empêche de s’exprimer. La création d’un syndicat d’ouvrier permet d’obtenir une forme de liberté d’expression, or de tout contrôle patronal.

Les corsetières 14 juin au 30 septembre 1895 tiennent une grève grâce au soutient de la fédération qui les aide à constituer un syndicat, qui organise concerts, conférences et bals de solidarité. 45 grévistes sur 105 ouvrières annoncent les revendications suivantes : « suppression des amendes, augmentation de 0,20 franc par corset, suppression de la prière obligatoire intolérable à la liberté de penser des ouvrières.

Les corsetières vont voir le syndicat des ouvriers de Limoges qui les aide à créer leur syndicat indépendant. Les revendications des corsetières sont entendues par le syndicat des ouvriers mais pas par l’employeur. Les grévistes n’ont aucune garantie d’être réembauchées après la grève, un droit du travail qui ne les protègent pas véritablement. Les patrons de la maison Clément représentent cet espèce de patronat que l’on appelle « de droit divin » avec une patronne qui essaye de moraliser ses ouvrières.

Dans les congrès les femmes sont peu nombreuses, on ne les écoute pas beaucoup, pas beaucoup de responsabilités…

De 32 grévistes en juillet, elles passent à 22 en août, la grève est un échec. Des religieuses reprennent le travail à la place des ouvrières dans la grève pour « casser » l’impact de la grève sur l’atelier.

Plusieurs de ces femmes siègent au Congrès de la CGT en 1895 mais dans les archives du dit congrès on ne sait pas ce qu’elle ont dit, et on ne sait pas ce qu’il advient de leurs vies après le Congrès.

Extraits issus de « Les corsetières décorsetées » sur France Culture, 28 novembre 2020

Resssources biblographiques

Réalisation de Lucille MAUREL pour PR2L, mars 2022. Avec le soutien de Baptiste RAMAS et des bénévoles de l’assocation.